La pratique du psychologue en institution

Synthèse du groupe de réflexion « la pratique du psychologue en institution », année 2006/2007
Ce groupe de travail, animé par des membres de (sic)-association s’est déroulé dans ses locaux pendant plusieurs années.
Les réunions mensuelles étaient ouvertes à tous psychologues praticiens désireux d’y participer et d’y témoigner.

Ce qui m’a frappé, dans l’ensemble des exposés de cette année c’est le fait que, pour tous, la clinique, la clinique dans l’institution, n’apparaissait pas comme le point problématique. Pour autant que l’organisation de l’institution n’empêche pas le psychologue de travailler, tout simplement, de rencontrer les sujets, non seulement la clinique est possible, mais elle est un point d’appui. Point d’appui à sa reconnaissance, à l’instauration de sa place, à sa gratification même.

« L’intérêt » de la clinique est toujours donné comme ce qui permet de tenir face à une institution parfois maltraitante. Donc, premier point, apparemment, nous nous entendons tous sur ceci : qu’il y a une clinique possible du psychologue en institution.

Que met-on derrière le terme de clinique en institution ? Qu’y met-on nous de commun ? Et quels sont les éléments qui, dans l’organisation institutionnelle, constituent ce qu’on pourrait appeler le dispositif minimum pour que l’exercice d’une clinique soit possible ?

J’essayerai de tirer ce fil par une question qui est souvent revenue : celle de « l’utilité » du psychologue, du « besoin » tel que l’évalue l’institution. Presque tous les exposés ont évoqué des mutations institutionnelles, des changements de direction, des modifications d’organisation qui ont correspondu au recrutement d’un psychologue ou à des remaniements dans son affectation, ses attributions ou ses fonctions. Ce n’est pas pour rien. On peut y lire le fait que le psychologue arrive toujours à une place assignée dans l’institution, même quand elle ne sait pas, surtout quand elle ne sait pas, ce qu’elle lui demande. Cette place que l’institution lui assigne, est forcément imaginaire et on a vu, à travers toutes les situations rapportées, se déployer ce que le signifiant de psychologue pouvait engendrer de projections :

  • psychologue perçu comme en collusion avec le pouvoir,
  • le signifiant de psychologue qui doit rester secret,
  • le psychologue vécu comme contre l’équipe,
  • le psychologue qui ne doit pas approcher les patients en individuel.

La demande qui est adressée par l’institution au psychologue me semble découler du même aléa imaginaire. D’où le fait que ces demandes soient aussi disparates, contradictoires, voire folles :

  • étayer une équipe sans risquer de la remettre en cause,
  • participer à du projet sans connaître les résidents,
  • prendre en charge des patients sans décider des modalités de cette prise en charge,
  • demander au psychologue de produire un savoir dont on ne veut surtout pas se servir,
  • ou rendre la tâche impossible tout simplement ; par exemple amener ailleurs un enfant au moment prévu de la rencontre avec le psychologue.

On peut considérer que cette inflation de la projection imaginaire est presque de structure, que le psychologue vient incarner à l’échelle de l’institution une surface de projection imaginaire, objet de tous les transferts, surtout négatifs, et de leurs effets. Force est de constater que le psychologue déclenche souvent un certain déchaînement, une violence, des mouvements de haine qu’il a lui-même du mal à s’expliquer.

Face à quoi, parce qu’il n’est pas dupe, parce qu’il est averti de l’inconscient et de son fonctionnement, il faudrait qu’il tienne courageusement, héroïquement parfois, sa position de semblant. Ce n’est pas tout à fait inexact. Et on sait la ténacité, la solidité nécessaire, pour supporter, au plein sens du terme, la position de psychologue dans l’institution.

Mais enfin, il ne s’agit pas non plus de tomber dans le masochisme. Il faut bien que cette inflation imaginaire cesse ou au moins qu’elle soit bordée, qu’elle soit limitée. Il n’y a pas d’espace clinique possible si le psychologue reste pris dans les rets de l’imaginaire institutionnel ou s’il passe toute son énergie à s’en défendre.

Je ne crois pas non plus qu’on puisse attendre de l’institution, y compris de ceux qui la gouvernent, qu’elle vienne tenir cette fonction de bord. La coïncidence entre justement la place assignée au psychologue et les modifications d’organisation et de gouvernement montre bien le lien qui existe entre les politiques institutionnelles et la définition de notre

« utilité ». Nous sommes pris aussi dans les rets des politiques institutionnelles qui définissent à quoi sert un psychologue ou, en tous cas, à quoi il peut leur servir. Par exemple à être prescrit pour faire de la prestation psychologique un service et un produit de consommation…

Nous sommes confrontés à la fois aux effets de l’imaginaire, qu’on peut situer comme les effets du transfert, et aux enjeux, moins transférentiels et plus politiques, qui orientent les institutions. Alors comment se déprendre ?

Il me semble qu’il faut :

  • d’une part définir soi-même ce qu’on fait et ne pas attendre de l’institution qu’elle nous le fixe, ni nous le désigne ;
  • et d’autre part se décaler de la place (toujours imaginaire et assignée) à la fonction (assumée), faire exister la fonction. Cela passe, j’y reviendrai ultérieurement, par une série d’outils, de conditions matérielles et symboliques. Faire exister la fonction parce que cela permet à la fois d’être moins dépendant des aléas de l’institution et aussi de se protéger, de se mettre un peu à distance (la fonction produisant un effet d’évidement).

L’autre fil que je tirerai, par rapport à l’ensemble des interventions, est celui du point d’hétérogénéité que soutient le psychologue. On peut le dire plus simplement, par exemple : être dans l’équipe et y soutenir un regard particulier, un discours différent, décalé, de celui qui règle l’institution. Ca, ça serait pour la version soft, quand au fond cette présence hétérogène au sein de l’équipe est acceptée, voire reconnue. La plupart du temps, cette hétérogénéité s’avère plus conflictuelle.

Les situations exposées l’ont, me semble-t-il, amplement montré. Dans certaines institutions la présence d’un psychologue au travail s’est révélée insupportable, parce que l’institution elle-même fonctionnait sur le mode d’une famille, d’une famille pathogène, où l’introduction d’un point d’hétérogénéité, que le psychologue représentait, était intolérable.

La métaphore des histoires de famille, avec leur mémoire, leurs non-dits, leurs secrets et leurs règlements de comptes a souvent été utilisée, non sans raison. Beaucoup de fonctionnements institutionnels sont apparus marqués par des systèmes claniques et des organisations de clivage et de rivalités. Ou encore, vous avez évoqué cette nostalgie des équipes institutionnelles pour un temps passé, un temps d’indifférenciation, où le « tous pareils » faisait mot d’ordre et lien ; un temps auquel, les impératifs sociaux et les réorganisations directoriales avaient mis fin, avec plus ou moins de brutalité.

Dans tous les cas, le psychologue, lui, se situe du côté de la différenciation, différenciation des places, des fonctions, des tâches… Etc. Bien sûr, de là à penser qu’il est du côté de la direction, des cadres, c’est-à-dire des figures du pouvoir hiérarchique il n’y a qu’un pas… Avec ce que cela entraîne de suspicion à son endroit.

Alors comment se positionner vis-à-vis de l’équipe pour s’inscrire du côté de la différenciation tout en échappant, autant que faire se peut, aux enjeux de pouvoir ?

Je crois qu’il ne faut pas s’illusionner quant à une possible extraterritorialité du psychologue par rapport à l’institution ni alimenter l’imaginaire de l’équipe de cette illusion. Le psychologue est dans l’équipe parce qu’il est partie intégrante de l’organisation institutionnelle. Mais il y est dans une position spécifique : parce qu’il est généralement seul, parce qu’il ne gouverne pas, à la différence des directeurs, cadres et psychiatres, parce qu’il ne s’inscrit pas dans la même temporalité que les autres, par exemple il ne partage pas le quotidien et rarement les temps informels… Etc. Tous ces éléments contribuent à l’isoler. Néanmoins, il faut, à, mon sens, que le psychologue se pense dans l’équipe. C’est par ce qu’il va impulser dans l’organisation institutionnelle, dans son fonctionnement, qu’il peut soutenir un point d’hétérogénéité.

On peut nommer cela autrement, cela a d’ailleurs été dit autrement : venir faire obstacle à la jouissance en œuvre dans le fonctionnement institutionnel, au lien pathologique autour duquel l’institution se structure, tenter d’arrêter la reproduction du symptôme, symptôme généralement parfaitement homogène à ce que l’institution est censée traiter. Cela encore revenait de manière saisissante dans les situations exposées : le rapport à la violence, aux sujets qui sont dans le passage à l’acte, ou aux familles dans un lien pathogène, en fournissent des exemples évidents.

Cela suppose que le psychologue met à jour la jouissance qui circule, ce qui se répète et les bénéfices qu’on en tire, mais aussi qu’il attaque ce qui fait lien. Cela suppose une position intenable, intenable si on veut tout à fait l’occuper. Car mettre à jour la jouissance, en soi, c’est une impasse !

On ne peut pas s’inscrire dans une posture de justicier qui viendrait révéler la vérité de la jouissance, forcément perverse, de l’institution. On ne peut pas non plus, à l’inverse, être trop dans l’empathie vis-à-vis de « la souffrance » des équipes au risque d’en perdre de vue l’objet de l’institution, d’en rajouter dans la plainte, voire de renforcer le lien symptomatique.

D’où cette idée, que la meilleure façon de couper court à la jouissance institutionnelle, c’est encore de se recentrer sur le sujet : c’est de lui qu’on parle et c’est à partir de là qu’on peut aborder les questions de fonctionnement. D’où l’idée encore que le psychologue, dans l’équipe, doit parler à partir du savoir qu’il a sur ce sujet, à partir d’un savoir ni seulement théorique, ni supposé, mais constitué dans et par la rencontre clinique. Cela veut dire, en pratique, que l’organisation du travail doit permettre au psychologue de rencontrer tous les sujets, au moins une fois.

Je suis là en train d’énoncer ce qui me semble être un point essentiel de garantie du dispositif clinique, autrement dit ce cadre minimal, qui constitue les conditions d’exercice d’une pratique, au sein de l’institution. Le cadre n’est pas un dispositif figé, un référentiel codé et immuable mais un ensemble d’actes simples ayant une portée symbolique.

Il s’agit d’inscrire ces actes simples à portée symbolique dans l’organisation du travail :

  • par exemple, rencontrer systématiquement le patient, le jeune, la famille… etc. dès le processus d’admission ;
  • par exemple recentrer les réunions institutionnelles sur le sujet, le patient, l’enfant… etc. Demander qu’il y ait des réunions de synthèse, formalisées, systématiques sur des moments précis du parcours du sujet (admission, orientation, sortie…), avec un ordre du jour de façon à ce que tout ne soit pas guidé par l’évènementiel ;
  • que la transmission des informations, orales et écrites, soit repérable et le moins dépendante possible des enjeux de pouvoir et de hiérarchie ;
  • pouvoir fixer les modalités de rencontre ;
  • avoir un lieu « clos » pour mener ses entretiens ou ses ateliers…
  • Participer aux réunions de fonctionnement pour marquer qu’en effet le psychologue est partie prenante de l’équipe, de l’organisation institutionnelle et qu’il y a son mot à dire.

Je ne vais pas faire ici une liste exhaustive. Je dirai simplement que faire exister une place psychique, faire entendre la logique du sujet, donc ce qui forcément résiste à l’institution, nécessite ce minimum d’attirail symbolique. C’est ce que j’appelle les conditions élémentaires, élémentaires mais qu’il faut généralement arracher, qui posent les fonctions du psychologue.

À l’issue de ce travail de repérage de certains éléments communs à l’ensemble des situations exposées, quelques pistes me semblent à creuser :

  • définir plus précisément en quoi consiste notre clinique
  • quel substrat commun peut-on y trouver ?
  • quelle clinique du psychologue quand celle-ci ne passe pas par la rencontre directe du sujet ?

Toulouse, le 17 septembre 2007

Isabelle SEFF